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La fausse écoute, ou comment tricher sur YouTube et Spotify


On sait depuis longtemps que les influenceurs achètent de faux abonnés pour gonfler leur visibilité, mais il est de plus en plus manifeste que des artistes en font tout autant en trichant sur leur nombre d’écoutes sur les plateformes de diffusion en continu (streaming). Au Québec comme ailleurs, le phénomène serait surtout répandu dans le milieu du rap, le genre le plus populaire sur Internet. De quoi remettre en question la popularité de certains artistes de l’heure.

Acheter des vues sur YouTube s’apparente à un véritable jeu d’enfant. Une simple recherche sur le Web permet de tomber en moins de deux clics sur une kyrielle de sites où l’on nous propose d’accroître artificiellement le nombre de visionnements sur la vidéo de notre choix. Le Devoir a tenté l’expérience. Pour 15 $, on a pu ajouter 1000 vues à une vidéo quelconque. En acheter 25 000 aurait coûté 140 $ et des poussières. La même offre pour la plateforme Spotify se détaillait sensiblement au même prix.

« Il y a beaucoup trop de chansons qui sont téléversées sur les plateformes, donc le faux stream est un moyen de se démarquer. Pour un artiste qui commence, ça permet de se sortir la tête de l’eau et d’atteindre un seuil de visibilité. Ça existe dans tous les styles, mais dans le rap, c’est flagrant », résume Suzanne Lortie, une professeure de l’École des médias de l’UQAM qui étudie ces plateformes d’écoute.

Les artistes qui gonflent leur audience ne le font pas pour gagner plus d’argent, du moins pas à court terme. Qu’un artiste cumule 10 000, 100 000 ou un million d’écoutes, il ne récolte que des miettes de ces plateformes. « L’idée, c’est plutôt d’avoir la reconnaissance de l’industrie. Les maisons de disques, les promoteurs de festivals et les programmateurs radio cherchent tous la perle rare chez les jeunes artistes. […] Mais c’est aussi une manière de se faire remarquer par les algorithmes [des plateformes] et d’augmenter leurs chances d’être en vitrine », souligne la professeure Lortie.

Succès monstre ou illusoire ?

VIDEO: Comment tricher sur YouTube et Spotify | Balado
Le Devoir

Dans le milieu du rap — et du gangsta rap, a fortiori — , il y a toute une guerre d’ego, dans laquelle tout un chacun se targue d’être celui qui attire le plus de vues. Sur YouTube, il n’est pas rare que les clips de sulfureux rappeurs québécois qui n’ont aucune exposition médiatique et qui n’ont jamais été programmés en festival récoltent plusieurs centaines de milliers de vues. C’est souvent largement plus que, par exemple, les vidéos d’Hubert Lenoir, pourtant l’un des artistes les plus médiatisés du Québec.

Une distorsion que monsieur et madame Tout-le-Monde pourraient trouver suspecte, eux qui ne sont pas nécessairement familiers avec le « rap queb ». Mais pour Ariel Block Brisebois, l’un des dirigeants de la maison de disques Joy Ride Records, il ne faut pas y voir là la preuve que les chiffres sont complètement faux : « Les médias ne sont pas connectés à la réalité. Et même s’ils l’étaient, ça ne servirait rien. On a beau parler d’Hubert Lenoir à la télévision, les gens qui écoutent la télé ont 60 ans et s’en foutent, d’Hubert Lenoir. Et si on parlait du rap, ils s’en foutraient aussi. La réalité, c’est que tout se passe sur Internet. C’est là que les gens vont découvrir les nouveaux artistes. Ce n’est plus à la télé ou à la radio. »

Cela étant dit, Ariel Block Brisebois reconnaît que l’achat de fausses écoutes est monnaie courante dans le milieu du rap au Québec. Joy Ride Records, qui représente notamment les rappeurs Loud et White-B, assure n’avoir jamais cautionné cette pratique ; on montre plutôt du doigt les grosses compagnies de disque, « qui ont des moyens illimités » et qui n’hésiteraient pas à donner un coup de pouce à leurs poulains qui ont du mal à décoller.

Dur à déceler

VIDEO: Une alternative gratuite à Spotify
Monsieur Astuces

Une étude publiée lundi en France par le Centre national de la musique (CNM) atteste qu’un peu plus de 1 % des écoutes sur Spotify dans l’Hexagone se sont avérées frauduleuses en 2021 et ont été corrigées par la suite par la plateforme. Le CNM laisse cependant entendre que ce taux est possiblement largement sous-estimé, et que l’achat de fausses écoutes pourrait permettre le blanchiment « de revenus issus d’activités illégales, voire criminelles ».

Chose certaine, la pratique concerne largement le hip-hop. Sur les 10 000 chansons les plus populaires sur Spotify en France, près de 85 % des fausses écoutes ont été répertoriées dans cette catégorie, alors que le rap compte pour seulement un peu plus de 50 % de la musique consommée sur la plateforme.

Au Québec aussi, le rap cartonne sur les plateformes de musique en continu. Selon les chiffres de l’Observatoire de la culture, quatre des dix artistes québécois les plus écoutés dans la province donnent dans ce style. En 2022, le controversé Enima y a été le troisième artiste québécois le plus populaire, après les Cowboys Fringants et Charlotte Cardin. Selon nos informations, des acteurs de l’industrie musicale du Québec se sont alors interrogés sur la véracité de ce succès, d’autant qu’Enima n’a jamais bénéficié d’une réelle tribune à cause de ses nombreux ennuis avec la justice.

On a beau parler d’Hubert Lenoir à la télévision, les gens qui écoutent la télé ont 60 ans et s’en foutent, d’Hubert Lenoir

— Ariel Block Brisebois

 

Kevin Calixte, animateur du balado Rapolitik, ne doute pas pour sa part de l’authenticité du triomphe d’Enima ni de celui des autres rappeurs qui ont la cote au Québec. « Le faux stream, ça ne concerne pas tant les top rappeurs, comme Enima, Souldia ou Loud, mais plutôt ceux qui sont inbetween. Il y a des gens qui ont déjà 600 000 views et qui veulent pogner le million, alors ils achètent le reste. Est-ce que ça veut dire que leur succès est complètement fake ? Non. Mais est-ce que c’est crédible ? Non plus », illustre celui qui se fait appeler « Keke » sur la scène rap.

La diffusion en direct disqualifiée ?

VIDEO: Je quitte SPOTIFY pour YOUTUBE MUSIC ! (Mon expérience)
ROMAIN Le Phocéen

Face à des chiffres d’audience parfois falsifiés (même par des rappeurs étrangers bien établis), les organisateurs de festivals font preuve de méfiance. « On ne regarde pas du tout les streams au moment de programmer un artiste. On regarde ses ventes de billets, ses réseaux sociaux, mais pas ça », rapporte Olivier Primeau, promoteur du festival de hip-hop Metro Metro.

De son côté, l’ADISQ ne voit pas pour le moment l’achat d’écoutes sur les plateformes comme un problème au Québec : aucune situation de ce genre n’a été encore portée à son attention.

« C’est donc difficile à dire si ça existe ici aussi. Mais si c’est le cas, le phénomène ne doit pas être de grande ampleur, car l’écoute de la musique québécoise en ligne est famélique », note la directrice générale Ève Paré.

À voir en vidéo

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Author: Jeffrey Schmidt

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